Selon la Professeure Delphine Roulet Schwab, présidente de la Société suisse de gérontologie et spécialiste des questions de maltraitance envers les seniors, «l’âgisme est plus fréquent que le racisme et le sexisme» [1].
Une telle affirmation pose question et ne laisse pas indifférent. Car si une certaine peur de vieillir peut sembler compréhensible, la maltraitance envers les personnes âgées est communément considérée comme inacceptable. Alors, qu’est-ce que l’âgisme, comment l’interpréter et comment le dépasser?
Si l’on se réfère à la définition de l’OMS, l’âgisme est le fait «d’avoir des préjugés ou un comportement discriminatoire envers des personnes ou des groupes en raison de leur âge». [2]. La vision négative de la vieillesse ne date pas d’hier et nous devons bien reconnaître que notre société n’aime pas la vieillesse ou, du moins, ne la porte pas dans son cœur. Le vieil âge demeure, malgré les nombreuses campagnes menées par les différentes institutions et offices de la santé, une catégorie sociale peu valorisée. Il est rare d’entendre: «vivement que je devienne vieux!» ou «je vieillis! Quelle joie!».
Au contraire, il est plus fréquent d’entendre des expressions du type «que la vieillesse est triste!» ou encore «pourquoi faut-il arriver à vieux?». Et pourtant, les statistiques ne mentent pas: nous vieillissons inexorablement. Comme l’a justement fait remarquer Simone de Beauvoir, « rien ne devrait être plus attendu, rien n’est plus prévu que la vieillesse » [3].
Pourquoi cette inimitié envers une étape pleinement naturelle de l'existence humaine?
Or, plutôt que de l’attendre, nous la craignons, nous évitons de la mentionner et, parfois même, nous la rejetons. Ainsi, ces attitudes sont susceptibles de devenir des sources de « comportements discriminatoires ». Par nos préjugés et visions négatives du grand âge, nous permettons qu’une certaine forme de maltraitance – allant de la traitance inadéquate à l’indifférence – affecte nos aînés. Dès lors, comment expliquer cette inimitié périlleuse envers une étape pleinement naturelle de l’existence humaine ?
D’après la philosophe Corine Pelluchon, le rejet de la vieillesse dépend de « la manière dont un être accepte ou pas sa propre vulnérabilité, physique, psychique, culturelle et même sa vulnérabilité au mal » [4]. L’attitude anti-âge découlerait, finalement, d’un manque d’acceptation – physique, psychique ou culturelle –d’une nature fragile, vulnérable et mortelle.
Mais là n’est pas, pour le Dr. Bertrand Kiefer, la raison profonde du manque de considération envers cette étape de la vie qu’est la vieillesse. Le problème réside plutôt dans la manière de se représenter une vie de qualité, qui vaut la peine d’être vécue [5]. L’image d’une vie réussie, selon les critères actuels de la société, trouve son fondement dans les valeurs du jeunisme Dans cette perspective, l’image esthétique est la référence principale. Les valeurs du jeunisme consistent dans le soin de la santé, de la beauté (apparence) et d’une activité autonome. L’idéal de la vie humaine relevant des compétences, voire des perfections, physiques et mentales, les personnes âgées se retrouvent cloisonnées hors de la vie humaine. Elle se « situent hors de l’humanité » [6]. Cette lutte moderne contre l’horloge biologique conduit inévitablement à des formes d’âgisme. Alors que faire ? Comment dépasser ces âgismes ?
Sylvain
A suivre…
[1] https://www.ocirp.fr/lagisme-est-plus-frequent-que-le-racisme-et-le-sexisme
[2] https://www.who.int/ageing/features/faq-ageism/fr/
[3] Simone De Beauvoir (1970) . La vieillesse 1. Paris : Gallimard, p. 14.
[4] https://esprit.presse.fr/article/corine-pelluchon/la-vieillesse-et-l-amour-du-monde-35722
[5] https://www.rts.ch/play/tv/12h45/video/rendez-vous-de-la-presse-une-surmortalite-due-au-covid-de-10--debat-avec-annick-chevillot-et-bertrand-kiefer?urn=urn:rts:video:11898776
[6] Simone de Beauvoir, p. 1.